Des pions néonazis au service des ingérences étrangères
Au tribunal de Paris, la première audience d’un procès qui révèle les coulisses d’une guerre de l’ombre : des militants manipulés, un mémorial profané, et derrière eux, la longue main de puissances qui veulent fracturer les sociétés européennes.
Mercredi 29 octobre, la 14ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris a ouvert un procès hors norme : celui de l’« opération Mains rouges », ces pochoirs de mains ensanglantées apparus dans la nuit du 13 au 14 mai 2024 sur le Mémorial de la Shoah et plusieurs murs du centre de la capitale.
Derrière ces gestes ignobles, trois hommes bulgares – exécutants plus que véritables idéologues – et un quatrième en fuite, identifié comme le chef d’orchestre d’une opération qui porte la marque d’une influence étrangère, probablement russe.
Ce procès, le premier du genre en France, éclaire d’un jour cru les stratégies de déstabilisation qui exploitent les marges, les déclassés et les fanatiques pour frapper les symboles de notre mémoire collective.
Les marionnettes et le marionnettiste
Dans le box, trois silhouettes maladroites : Georgi Filipov, 36 ans ; Kiril Milushev, 28 ans ; et Nikolay Ivanov, 42 ans. Tous racontent la même histoire, celle de l’innocence, de la naïveté, du malentendu. Tous désignent l’absent, Mircho Angelov, comme le cerveau d’un plan dont ils n’auraient compris ni le sens ni les cibles.
Les faits, eux, ne laissent pas de place au doute : Filipov a tenu le pochoir, Milushev a filmé la scène, Ivanov a réservé les hôtels et les billets.
À la barre, Milushev joue la carte du hasard :
« Je pensais venir en France pour leur apporter des cigarettes », jure-t-il.
Il admet avoir filmé la scène mais prétend ne pas avoir vu ses amis peindre, car il aurait « trop bu ». La présidente du tribunal ironise :
« Si on résume, vous sortez avec eux, vous buvez, vous les perdez, vous marchez au hasard et vous vous endormez debout sous une porte cochère, c’est ça ? »
L’excuse tient du grotesque. Mais elle révèle une autre vérité : ces jeunes Bulgares, recrutés pour quelques centaines d’euros, sont les pions d’un système plus vaste — celui d’un mercenariat idéologique au service de l’influence russe.
Le déni et les tatouages
Georgi Filipov, premier à comparaître, incarne à lui seul le paradoxe de cette affaire.
Il dit regretter, assure avoir « tourné la page », mais son corps le trahit. Sur son torse, une croix gammée et l’aigle impérial du Troisième Reich. Sur Facebook, des photos de salut nazi, un T-shirt à l’effigie d’Adolf Hitler, avec cette inscription : « He was right » — il avait raison.
Face aux juges, il tente l’excuse éculée du passé :
« J’ai fait de mauvais choix, mais mes tatouages ne visent pas le peuple juif », dit-il.
Et pour son T-shirt à la gloire d’Hitler ?
« C’était un vieux T-shirt que je portais à la maison. »
Une défense lunaire. D’autant que les images ont été postées sur les réseaux sociaux un mois avant la profanation du Mémorial.
La procureure le rappelle, froide : « Peut-être un souvenir qui réapparaît sur Facebook en avril 2024 ? » ironise-t-elle.
Filipov concède alors, du bout des lèvres, que son recrutement n’est pas le fruit du hasard :
« Si ce qu’on dit sur Mircho est vrai, s’il avait des contacts russes, j’ai probablement été choisi à cause de mes opinions politiques et de mes tatouages. »
Une main russe derrière la main rouge
Car l’affaire dépasse le cadre du tribunal.
Selon des services européens, Nikolay Ivanov aurait servi d’intermédiaire entre les commandos et des relais des services secrets russes. Le coordinateur Angelov, toujours en cavale, serait désormais formateur dans des camps d’entraînement en Bosnie-Herzégovine et en Serbie, en lien avec des agents russes.
Ce mode opératoire rappelle les affaires Skripal ou Navalny : le mensonge, le déni, la banalisation, le brouillage du vrai et du faux.
Ces petites opérations de sabotage culturel et symbolique visent à affaiblir la cohésion démocratique des pays européens en attisant les divisions, en manipulant les mémoires, en poussant les extrêmes les uns contre les autres.
Et dans cette mécanique cynique, on retrouve toujours les mêmes instruments : les marginaux, les nationalistes en déshérence, les précaires.
Des individus récupérés, radicalisés, utilisés — puis sacrifiés.
Mémoire profanée, société fracturée
Le Mémorial de la Shoah n’a pas été choisi par hasard.
Les mains rouges — référence au lynchage de deux soldats israéliens en 2000 — ont été apposées sur le Mur des Justes, où sont inscrits les noms de ceux qui sauvèrent des Juifs pendant l’Occupation.
Filipov, questionné, prétend n’avoir rien vu :
« Il y avait des plaques, des noms… c’était mieux éclairé. »
Les magistrats s’étranglent : comment ne pas voir les étoiles de David qui couvrent le mur ?
« C’est une question intéressante », répond-il, fuyant.
Cette désinvolture en dit long. On ne s’en prend pas à un lieu de mémoire sans savoir ce qu’il incarne.
Ce tag, loin d’un simple acte de vandalisme, est un message : un coup de poing idéologique destiné à salir les symboles de la lutte contre la barbarie nazie, à brouiller la mémoire de la Shoah, à détourner la colère populaire vers des ennemis imaginaires.
Le procès d’une époque
Ce procès dépasse les trois prévenus. Il interroge la société que nous laissons se construire sous nos yeux :
– une société où des jeunes sans repères peuvent être enrôlés pour quelques centaines d’euros dans des opérations d’influence ;
– une société où le révisionnisme et les discours d’extrême droite circulent librement sur les réseaux sociaux ;
– une société où les États eux-mêmes manipulent ces fractures pour avancer leurs pions dans la guerre de l’information.
Le parquet l’a dit : cette affaire est « un avertissement ».
Mais au-delà du tribunal, c’est à nous d’en tirer les leçons. Tant que la misère sociale, la désinformation et le mépris politique continueront de miner les consciences, les apprentis saboteurs trouveront toujours de la main-d’œuvre pour leurs campagnes d’ingérence.
Défendre la mémoire, défendre la démocratie
Le procès des « Mains rouges » n’est pas seulement celui de trois hommes perdus.
C’est celui d’une époque où la mémoire devient un champ de bataille, où les symboles de la Résistance sont profanés par des bras manipulés, où les puissances étrangères jouent avec nos divisions comme on joue avec des allumettes sur une poudrière.
Face à cela, il n’y a qu’une réponse : l’éducation, la justice, la vigilance.
Et surtout, la mémoire vivante des luttes — celle des Justes, des résistants, des peuples qui ont refusé la haine et la soumission.
Opération « Mains rouges »
Modérateur : Betatest