Ces derniers jours, une partie du paysage politique et médiatique a été saturée par le brouhaha autour des condamnations de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen. L’un pour association de malfaiteurs dans des affaires d’argent et de corruption, l’autre pour ses propres déboires judiciaires. Leur point commun ? La même rhétorique éculée : se poser en victimes d’une justice « politisée », « haineuse », manipulée par des « juges partisans ».
Ce discours n’est pas seulement malhonnête : il est dangereux. Car en se drapant dans les habits de martyrs, Sarkozy et Le Pen sapent la confiance dans l’institution judiciaire, fabriquent un récit victimaire qui détourne l’attention de leurs crimes et, surtout, renforcent l’idée que les puissants seraient des justiciables comme les autres. Or, c’est faux.
Les puissants ne sont pas traités comme tout le monde
Revenons aux faits. Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs. Une infraction grave, utilisée d’ordinaire pour qualifier les réseaux de grand banditisme ou de terrorisme. La justice aurait pu, comme elle le fait pour d’autres citoyens, l’envoyer directement derrière les barreaux, menotté, le soir même. Ce n’est pas le cas. Sarkozy bénéficie d’un régime de faveur.
Quant à Marine Le Pen, elle adopte la même stratégie d’inversion des rôles. Chaque fois qu’elle est rattrapée par ses pratiques opaques, elle accuse la justice de complot. Pourtant, elle est traitée avec des gants que ne connaissent pas les citoyens ordinaires, incarcérés ou interdits de droits civiques pour bien moins que cela.
Leur indignation n’est pas celle d’innocents persécutés. C’est celle de privilégiés rattrapés par un système judiciaire qui, malgré ses faiblesses, a osé franchir le Rubicon : juger les puissants.
Une mécanique de diversion rodée
Ce qui choque dans leur défense, ce n’est pas seulement leur mauvaise foi, mais la mécanique de diversion qu’ils orchestrent avec brio. Plutôt que de parler du fond – les malversations, les financements occultes, les détournements – ils déplacent le débat. On discute des juges, de la supposée « haine » du Parquet, de l’« acharnement » judiciaire.
Dans ce jeu de miroir, les coupables deviennent des victimes, et la justice est transformée en bourreau. C’est un procédé bien connu de l’extrême droite comme de la droite dure : se poser en rempart contre une prétendue « dictature des juges », pour mieux masquer leur propre corruption.
Cette stratégie est d’autant plus efficace qu’une partie des médias, fascinée par le spectacle, reprend leurs éléments de langage. La victime, ce n’est plus le peuple qui a été spolié par des affaires de corruption. La victime, ce serait Sarkozy, ce serait Le Pen.
Ni Dreyfus, ni martyrs : des fossoyeurs de la justice
Comparer leur sort à celui du capitaine Dreyfus, comme ils osent parfois le suggérer, est une insulte à l’histoire. Dreyfus était un innocent condamné par un système militariste et antisémite. Sarkozy et Le Pen, eux, sont des responsables politiques pris la main dans le sac, dont les agissements salissent la démocratie.
Ils ne sont pas les victimes d’une injustice. Ils sont les fossoyeurs de la justice, chaque fois qu’ils la délégitiment pour sauver leur peau. Chaque attaque contre les juges fragilise l’État de droit, alimente la défiance et encourage les menaces contre les magistrats.
Un climat empoisonné : trumpisation et berlusconisation
Ce glissement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un climat politique global : la trumpisation de la vie publique. Aux États-Unis, Donald Trump a bâti sa carrière sur l’attaque systématique des institutions et le récit du complot. En Italie, Silvio Berlusconi a longtemps présenté ses procès comme des cabales, transformant ses magouilles en « persécutions ».
La France, désormais, connaît la même dérive. Quand Sarkozy ou Le Pen accusent la justice d’être politisée, ils savent qu’ils sèment un poison durable. Ce poison nourrit l’extrême droite, délégitime les contre-pouvoirs et prépare le terrain à une société où la loi du plus fort remplace l’État de droit.
Défendre la justice, défendre l’égalité
Dans ce contexte, il est urgent de rappeler l’essentiel : la justice est indépendante. Elle ne poursuit pas Sarkozy ou Le Pen parce qu’ils sont « trop puissants », mais parce qu’ils ont violé la loi. Et s’il reste des privilèges dont ils bénéficient, c’est précisément parce qu’ils appartiennent à une caste politique et sociale intouchable trop longtemps.
Leur stratégie de victimisation ne doit pas nous tromper. Ils ne sont pas en dessous des lois, mais ils ne devraient pas être au-dessus non plus. Or, c’est exactement ce qu’ils réclament : l’impunité des puissants.
La véritable injustice n’est pas leur procès. La véritable injustice, c’est celle des millions de citoyens qui, pour des délits mineurs, subissent chaque jour une justice implacable, des prisons surpeuplées et un mépris de classe constant.
Ne pas céder au récit des coupables
L’affaire Sarkozy comme l’affaire Le Pen révèlent une leçon fondamentale : chaque fois que les puissants sont jugés, ils tentent de retourner la table. Ils veulent faire oublier leurs crimes en transformant leur procès en attaque contre la République.
Face à cette manipulation, nous avons un devoir : défendre l’indépendance de la justice, rappeler les faits, refuser les récits victimaire qui travestissent la réalité.
Sarkozy et Le Pen ne sont pas des Dreyfus. Ils sont des prédateurs politiques, qui n’ont cessé de piétiner la démocratie. Et leur condamnation n’est pas une menace pour l’État de droit : elle en est la preuve vivante.
Quand les puissants travestissent leurs condamnations en martyre
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Quand les puissants travestissent leurs condamnations en martyre
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Re: Quand les puissants travestissent leurs condamnations en martyre
L’ancien président de la République a donné dimanche une interview au « Journal du dimanche », avec cette citation pour titre : « Ce n’est pas moi qui suis humilié, mais la France ». Il faut le prendre au mot : rarement une affaire aura autant avili une démocratie.
https://www.mediapart.fr/journal/france ... um=custom7
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Marcel Pagnol
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